Pratiquer le Darma
[-----] Tourner son esprit vers le dharma Gampopa a donné des conseils extrêmement précieux pour tous les pratiquants du dharma. Le premier de ses conseils est qu'il faut tourner son esprit vers le dharma. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut dire comprendre exactement ce qu'est le dharma et ce que l'on est soi-même. On ne peut pas se rendre vraiment compte du caractère merveilleux, précieux du dharma tant qu'on n'a pas compris ce qu'on est soi-même : si l'on ne s'aperçoit pas que l'existence humaine, qui est la nôtre, est quelque chose de tout à fait exceptionnel, on ne peut pas accorder au dharma toute la valeur qu'il a. Le dharma est ce qui nous permet, si on le pratique d'une manière correcte, d'utiliser cette existence humaine à ce qu'il peut y avoir de plus formidable comme but à atteindre. La première chose à faire est donc de considérer vraiment ce corps, cet esprit qui possède la nature de bouddha, ces conditions de relative liberté dans lesquelles on est placé, toutes ces possibilités qui nous sont données. On s'aperçoit alors que nous est ainsi offerte l'occasion de réaliser cette nature de bouddha. Si l'on fait vraiment cet examen, si l'on se rend vraiment compte de la situation extrêmement privilégiée dans laquelle on est, on a alors une chance que cette constatation ne reste pas simplement une idée, mais devienne quelque chose de fondamental dans notre esprit, qu'elle fasse partie de notre conscience et que le sentiment d'urgence qu'il y a à utiliser cette situation pour parvenir à l'éveil devienne une motivation extrêmement profonde : dans toutes nos actions, dans toutes les circonstances de notre vie, cette préoccupation est présente. Nous voulons tous atteindre l'état de bouddha, mais en attendant il y a des étapes ; la pratique du dharma, c'est la pratique formelle, la méditation, les prières, les rituels, mais c'est aussi la vie quotidienne. Et à partir du moment où l'on a vraiment pris conscience du caractère précieux de l'existence humaine, où l'on a vraiment tourné son esprit vers le dharma, tout cela se retrouve intégré en une seule et même chose : il n'y a pas d'un côté la pratique et de l'autre côté la vie quotidienne, mais tout est conditionné par la préoccupation constante de se diriger vers l'éveil ; même si on n'en est pas complètement conscient, il y a toujours quelque chose dans notre esprit qui nous pousse dans ce sens. [-----] Non agir et détente Pour parvenir à la compréhension véritable du dharma et de notre situation présente, et garder celui-là présent à l'esprit, il faut développer autre chose que la simple réflexion et la simple attention que nous utilisons pour l'instant. Il faut développer le non agir, la non fabrication, la non-intervention. Habituellement, lorsque nous regardons quelque chose, nous le classons aussitôt dans telle ou telle catégorie : "C'est bon, c'est mauvais, c'est bien, ce n'est pas bien, ça me plaît, ça ne me plaît pas, ça doit continuer, ça doit s'arrêter etc." Nous portons ainsi sur toutes les choses un regard qui non seulement nous permet de les voir, mais qui immédiatement les transforme. Ce n'est plus simplement un objet ou un être ou une pensée ou une action que nous regardons, c'est un objet qui nous plaît ou nous déplaît, une pensée désagréable ou agréable, un être plaisant ou déplaisant, etc. Si l'on veut vraiment tourner son esprit vers le dharma, il faut s'entraîner à une autre manière de voir les choses, à simplement les considérer telles qu'elles sont, sans les qualifier de bonnes ou de mauvaises, sans intervenir dans la réalité. C'est le but de la contemplation. On s'entraîne d'abord, dans la contemplation, à cette non-intervention, à ce non agir de l'esprit et puis, petit à petit, cela s'étend à la vie quotidienne ; on voit alors réellement les choses telles qu'elles sont. Tant que l'on fonctionne d'une manière interventionniste, tant que l'esprit intervient et que des phénomènes mentaux se rajoutent, on reste à la surface des choses, on ne les comprend ni on ne les connaît ; on perçoit une enveloppe, on ne goûte pas vraiment les choses ou les situations. Par contre, lorsqu'on s'entraîne au non agir, non seulement on comprend les choses, mais encore on les sent, on les perçoit, elles font réellement partie de notre conscience, pourrait-on dire. Quand on applique ce non agir de l'esprit à la réflexion sur le caractère précieux de l'existence humaine, à la réflexion sur la nature de l'esprit, à la réflexion sur la nature du dharma, etc., non seulement on a compris intellectuellement ce que c'était, mais en plus on le sait, on le possède, on vit cette compréhension. Là, on peut dire qu'on a réellement tourné son esprit vers le dharma. Si l'on adopte une attitude correcte, on aborde le dharma, la voie vers l'éveil, d'une manière détendue. Si l'on s'entraîne à l'examen dont on a parlé, qui est dépourvu de fabrication, d'intervention etc., on se libère par la même occasion progressivement de ce qu'on appelle les huit dharma mondains, comme l'attachement au succès, la crainte de l'échec, l'attachement au fait d'être bien considéré ou mal considéré, etc. Cette espèce de crispation de l'ego qui fait que nous envisageons toutes les situations avec une sorte de tension, partagés entre l'espoir que cela se déroule bien et la crainte que cela n'aille pas vraiment bien, n'est pas la bonne attitude pour aborder la voie qui mène à l'éveil. Cette voie conduit à la libération de toutes les limitations de l'esprit et donc de toute crispation ; il y a ainsi une incompatibilité totale entre le fait de vouloir obtenir l'éveil et le fait d'avancer complètement crispé, en disant : "Est-ce que c'est bien, est-ce que ce n'est pas bien, est-ce que je pratique bien ou pas bien ?", S'entraîner à la contemplation de toute chose d'une manière sereine, sans intervenir, mais en restant extrêmement lucide, s'entraîner à ne plus être crispé sur le désir d'un résultat immédiat, mais à simplement attendre que les choses mûrissent, est essentiel si l'on veut réellement obtenir un résultat dans la pratique du dharma. [-----]
La mise en pratique [-----] Pratiquer ce chemin parfaitement pur qu'est la voie du dharma, c'est constamment pratiquer les deux accumulations, accumulation de karma positif, et par là même purification du karma négatif, et accumulation de sagesse. Ces deux accumulations se font d'une manière tout à fait naturelle et spontanée, à partir du moment où l'on a pris conscience des différentes tendances qui nous animent. On s'aperçoit aussi que toutes ces tendances sont le résultat d'habitudes, habitudes d'esprit, habitudes d'agir et de ressentir, etc., prises au cours de temps extrêmement longs à partir des émotions comme l'aversion, l'attraction, l'ignorance. Les comportements renforcent les tendances, les tendances renforcent les comportements, et ainsi de suite. Une fois qu'on a pris conscience de cela, on peut progressivement changer ses habitudes ; c'est ce qu'on fait au travers de la compréhension, de la vision claire de la situation, et c'est cela l'entraînement de l'esprit. D'une part, on est beaucoup plus conscient de ce qui se passe à l'intérieur de l'esprit, d'autre part les actions que l'on accomplit sont beaucoup plus orientées d'une manière positive. Ces actions orientées d'une manière positive développent des habitudes et des tendances elles-mêmes positives qui combattent l'influence des tendances négatives. On assiste peu à peu à une modification du comportement, et à une clarification de l'esprit et une diminution de l'ignorance. En effet, dès qu'on a vraiment commencé ce cycle, on ne s'arrête plus, on avance vers davantage de compréhension et toujours moins d'ignorance.
L'esprit d'éveil Pour compléter ce tour d'horizon de la voie du dharma, il faut savoir que tout cela n'est vraiment valide qu'éclairé par l'esprit d'éveil, lorsqu'on cesse de considérer la progression spirituelle comme une affaire personnelle et égotique, pour la replacer dans un contexte beaucoup plus général. L'esprit d'éveil est ce qui permet de développer les qualités inhérentes à notre propre esprit. Il est impossible de développer la bodhicitta, l'esprit d'éveil, l'amour et la compassion sans les autres : nous avons absolument besoin d'eux. Tel est l'enseignement fondamental appelé l'entraînement de l'esprit. Les autres, même et surtout lorsqu'ils nous font du mal ou qu'ils essaient de nous créer des obstacles, sont indispensables si nous voulons réellement développer l'esprit d'éveil. A partir de cette bodhicitta, de cette ouverture, il est possible de progresser régulièrement vers la réalisation, de développer les deux accumulations, de purifier complètement son esprit. Si l'on ne tient pas compte de cet esprit d'éveil et du fait qu'il est nécessaire de se tourner d'abord vers les autres si l'on veut progresser soi-même, on risque de se heurter à des obstacles considérables. L'objet de l'esprit d'éveil, ce sont les êtres en général, les personnes, les animaux, etc. et il est essentiel de prendre conscience que, sans eux et sans l'amour et la compassion que l'on peut développer à leur sujet, on est complètement impuissant à se diriger vers l'éveil. ils représentent un élément complètement indispensable à notre propre éveil, et il faut s'habituer à les considérer sans les juger et à baser l'amour et la compassion que l'on peut ressentir pour eux sur quelque chose de solide. Ressentir de l'amour et de la compassion pour quelqu'un que l'on aime bien ou qui souffre, c'est en fait développer de l'attachement ; par contre, l'amour et la compassion pour les êtres prennent leur source dans la compréhension de la situation de ces êtres. On comprend ce qu'est la loi de causalité, on sait que tous les êtres sont soumis au karma et à l'ignorance et que, du fait de cette ignorance, ils créent leur propre souffrance par les actes négatifs qu'ils commettent. Quand on constate la souffrance qu'il peut y avoir dans le monde autour de soi, sans parler du samsara en général, c'est quelque chose d'horrible et on n'a qu'un désir, c'est que cela s'arrête. Tout le monde a droit au bonheur et notre souhait est que tous les êtres soient heureux. Qu'on connaisse les gens ou qu'on ne les connaisse pas, cela n'a aucune espèce d'importance. L'important est de considérer, d'une part, la loi de causalité, d'autre part, l'ignorance et ce système absurde qui fait que des êtres, par ignorance, se font du mal à eux-mêmes et aux autres. il faut que cela s'arrête. Voilà ce que sont l'amour et la compassion. A partir du moment où l'on commence à développer cela et où l'on se dit que cela ne doit pas avoir de limites, il s'agit d'une compassion qui s'étend à tous les êtres. Certains êtres sont horribles, certains êtres sont méchants, mais ils ont autant droit que les autres à notre compassion, parce que leur méchanceté et leur malveillance, bien que révoltantes, proviennent de l'ignorance et qu'ils se préparent ainsi des souffrances terribles. Il faut s'entraîner à l'amour et la compassion, ils ne sont pas spontanés. Petit à petit, notre amour et notre compassion engloberont tous les êtres et, quels qu'ils soient, nous pourrons les regarder avec le regard de la bodhicitta. Cela est indispensable pour suivre le chemin parfaitement pur vers l'éveil. Il convient enfin d'insister fortement sur la façon de mettre en application ce qui vient d'être dit. Il existe deux façons de comprendre les choses, la façon intellectuelle, et l'autre façon qui consiste à examiner, aller voir, constater et dire : "Ce n'est pas la vérité que l'on m'a transmise, c'est ma vérité, parce que je sais que c'est ainsi." Et quand on parle d'amour et de compassion vis-à-vis des êtres, ou quand on parle de bon ou de mauvais karma, cela doit représenter la vérité de chacun d'entre nous. Ce n'est pas parce qu'on nous a dit qu'il fallait développer l'amour et la compassion qu'on va se tourner vers les êtres avec amour et compassion : "Ah ! le pauvre ! " Cette attitude est comme de la peinture à la surface de l'esprit, c'est une attitude plaquée, un simple décor à la surface de l'esprit. Ce qu'il faut, c'est simplement réfléchir, regarder, et puis sans qu'on ait besoin de se dire qu'il faut éprouver de l'amour et de la compassion, on éprouvera spontanément de l'amour et de la compassion, parce qu'on aura compris et que cela sera notre vérité.
Extraits de “Pratiquer le Dharma” du Lama Jigmé Rinpoché Reproduit avec l’aimable autorisation de KDC http://www.dhagpo-kagyu.org/france/